Culture
Orthez, l’an 1730
Orthez se souvient..
Autrefois capitale de Béarn, grâce à son prince, Gaston VII Moncade, qui délaisse Morlaàs et érige un château qui « des¬couvre de tous costés cinq ou six lieues d’estendues de païs » (*), fière de son pont, point de passage des marchands de l’Aquitaine vers la Navarre, des Jacquais vers Compostelle, elle est déjà au milieu du XIIIe siècle, le point stratégique du Béarn.
Elle n’oublie pas non plus l’éblouissant Fébus, prince érudit et chasseur qui lui fît rencontrer de si brillants visiteurs au XIVe siècle. ( » Histoire de Béarn de Pierre de Marca. ‘ » Chroniques de Jean Froissart.)
Elle se rappelle enfin, comment, à la fin du XVIe siècle, elle sût assurer son identité protestante en devenant la capitale intel-lectuelle du Béarn et le siège d’une Académie Protestante tout en s’enrichissant du contrôle du commerce vers l’Aragon et la Navarre, de la création de très gros marchés (porcs d’Arthez de Béarn, bétail … poteries de Samadet …) et d’un important centre de salaisons.
La mémoire d’Orthez n’a pas oublié non plus la terrible pério¬de noire de son existence quand Louis XIV en révoquant l’Edit de Nantes (1685), fît s’enfuir beaucoup de ses nobles, de ses commerçants, de ses artisans : tous étaient réformés et, las des brimades en tous genres, ils profitaient des filières d’évasion entre Orthez et Bayonne en emmenant tous leurs biens meubles. Ceux qui restaient se faisaient tout petits …
Mais, en l’an 1730, Orthez émerge. Les orthéziens, de mémoire de Béarnais, ont toujours été de fameux commerçants. Aussi, uti-lisant leur position stratégique, ils développent leurs ateliers de salaison, leurs tanneries, leur commerce intérieur et extérieur, et, peu à peu retrouvent la prospérité.
Tirant un trait sur ce XVIIe siècle qui n’avait pas été glorieux et qui s’était si mal fini, les orthéziens profitent de leur vigoureuse reprise économique et se mettent à construire de fort jolies mai¬sons qu’ils vont, évidemment, meubler en conséquence.
Jusqu’en 1730, on ne connaissait à Orthez, outre les coffres, que le mobilier à motifs peu onéreux à fabriquer comme les panneaux quadrangulaires qui nous venaient d’Espagne et qu’on retrouvait sur bon nombre de portes …
Ce demi-cabinet à deux portes, comportant chacune quatre panneaux quadrangulaires à plates-bandes, montre son ancienneté par l’assemblage de simples planches qui constituent le dessus et les côtés.
Ou les meubles à cives d’un prix de revient peu élevé.
Le manque de décor sur les traverses et les montants, le manque de fronton et la présence de pieds finement sculptés sont les caractéristiques les plus constantes du meuble à « cul-de-bouteille » d’Orthez.
Ce demi-cabinet à deux portes, comportant chacune quatre panneaux quadrangulaires à plates-bandes, montre son ancienneté par l’assemblage de simples planches qui constituent le dessus et les côtés.
Vers 1730, apparaissent les meubles à pointes de diamant comme ces deux demi-cabinets.
Ces deux meubles font l’ornement de maisons situées, l’une à 25 km à l’est d’Orthez, l’autre à 25 km à l’ouest. Et si nous vous les avons présentés tous les deux, c’est d’abord pour mettre en évidence leur différence de structure due simplement à leur différence d’âge (le premier semble être de 1730, le second de 1740 ou 1750), mais aussi parce qu’ils nous ont semblé les premiers témoins de l’esprit corporatif des artisans orthéziens.
Ils sont composés de deux vantaux identiques, chacun décoré de quatre pointes de diamant à quatre bossages insérées dans un liseré et d’un tiroir sans décor à moulure saillante comme celle des portes. Le tiroir et le pied diffèrent très légèrement, l’un par sa largeur, l’autre par sa sculpture. La différence essentielle est, dans la construction de ces deux demi-cabinets, très visible sur la face latérale: l’un est constitué de planches bouvetées les unes aux autres, l’autre de panneaux libres tenus dans un bâti tenonné et mortaisé. La séparation en double corps n’est qu’apparente, cette impression est donnée par une baguette rapportée sur le meuble.
Certes, les corporations n’existaient pas en Béarn à cette époque mais, au cours de nos pérégrinations, nous avons eu la conviction que beaucoup d’ébénistes du nord du Béarn, de Salies jusqu’à Thèze se réunissaient, non seulement pour échanger leurs idées, leur savoir-faire, mais sûrement aussi pour organiser leur travail. Cet esprit nous a semblé bien plus présent à Orthez qu’à Morlaàs et peut-être a-t-il permis à l’ébénisterie orthézienne de se perpétuer au delà de ses limites, à l’heure de la récession économique de 1780.
Orthez continue à prospérer. Elle produit pour toute la région, Salies, Bayonne, les Landes … Et elle exporte aussi.
En 1753, se développent des minoteries et le minot est exporté aux îles d’Amérique (très vite Orthez a adopté les idées de l’in-tendant d’Etigny et s’est servi de l’énergie du gave pour moudre son grain).
En 1755, une riche héritière apporte en dot cette splendide armoire.
Ce meuble nous donne à la fois une impression de richesse et d’austérité.
Elle est en noyer comme presque tout le mobilier orthézien.
Sa structure est à deux corps. Le corps du bas repose sur deux énormes pieds moulurés surplombés par une corniche basse très saillante.
Deux pilastres imposants encadrent un tiroir à moulure importante.
Chaque vantail est composé de deux panneaux à pointe de diamant quadrilobée enserrant un panneau simple à plates-bandes.
Le côté est composé de deux panneaux moulurés avec un décor de losange et d’un panneau simple.
De même date est ce somptueux cabinet à quatre portes et un tiroir. De construction similaire, sa porte latérale lui confère beaucoup de charme.
Le pied en toupie de ce meuble fait partie de la mémoire de la famille qui le possède. Celui-ci, très haut de taille, semble avoir répondu à une exigence particulière aussi simple que celle de l’inondation de la maison après certains gros orages béarnais, idée confortée par le fait que d’autres meubles du rez-de-chaus-sée sont pareillement montés.
Le pied du meuble orthézien est toujours un élément décoratif de valeur et en fait, très souvent, un attribut de reconnaissance. Quel que soit sa forme, ronde, ovale, rectangulaire, aplatie ou tout en hauteur, il présente la plupart du temps des sculptures ou des moulures qui ont pour effet d’affiner le meuble et de lui donner une élégante discrétion … comme, si on peut se permettre la comparaison, le soulier d’une femme raffinée.
II est intéressant de comparer le meuble orthézien à pointes de diamant quadrilobées à ceux qui se firent en Béarn à la même époque.
Nous nous tournerons, spécialement, vers Oloron qui eut une grande prédilection pour ce genre de motif.
Ce cabinet à quatre portes et trois tiroirs en est une belle illustration.
Le mobilier d’Oloron ressemble beaucoup à celui d’Orthez mais s’en différencie par une mouluration plus importante des motifs et une très grande sobriété des tiroirs, des montants, des traverses et du pied (pied boule aplati). Le cabinet et l’armoire sont couramment, comme la bonnetière, d’un seul tenant, contrairement au meuble d’Orthez qui est presque toujours à deux corps. Les frontons échancrés, comme celui de la jolie bon¬netière ne couvrent que les meubles d’Oloron.
L’évolution du mobilier d’Oloron a suivi l’évolution écono¬mique de la ville :
Avant 1720, Oloron était endettée jusqu’au cou et ne faisait que du meuble à « culs-de-bouteilles », peu coûteux à fabriquer qu’elle décorait plus ou moins richement.
A partir de cette date, la ville se lance dans la fabrication mécanique des laines et fabrique des bas et des jupes qu’elle exporte en Espagne par le Somport et, vers 1750, elle est deve¬nue riche… c’est alors que ses ébénistes firent de très beaux meubles comme le cabinet de la page précédente.
Puis vient, de 1752 à 1770, l’époque d’une certaine récession qui vit l’activité industrielle et commerciale réduite des deux tiers, ce qui n’amena pas la ville à la pauvreté mais l’obligea à ralentir son train de vie et, ce faisant, empêcha l’évolution du meuble vers des formes plus riches comme celles que nous retrouverons à Orthez.
Malheureusement, en 1779, un édit du roi d’Espagne prohibe l’importation des bas de laine: l’industrie oloronaise ne s’en remettra pas, les ateliers de menuisiers non plus.
Ces meubles à pointe de diamant quadrilobée, qu’ils soient cabinets, armoires ou bonnetières, sont typiquement béarnais et si quelques variantes permettent de les identifier, comme à Oloron, il est parfois très difficile d’en définir l’origine exacte. On peut réellement dire qu’ils sont « de tout le Béarn ».
Nous voici en 1760, les sieurs Larouture et Lejeune ouvrent la manufacture royale de savon et exporte à Bayonne, Bordeaux, au Havre, aux îles d’Amérique.
La même année, l’intendant d’Etigny facilite le rachat, par la maison Belham et Cie de Bordeaux, de deux mille quintaux de petits salés destinés au Canada.
Et le meuble orthézien commence à prendre une certaine dis-tance avec son austérité légendaire et s’enrichit en ornant le centre de ses pointes de diamant quadrilobées.
Ces pointes de diamant au relief rayonnant autour d’une fleur ou d’une étoile font partie, aussi, des motifs décoratifs de Salies de Béarn et on ne peut dire avec certitude qui en est l’inventeur. Les deux villes distantes d’à peine quatre lieues avaient des rela-tions suivies du fait qu’Orthez achetait le sel de Salies pour en faire ses célèbres jambons dits « de Bayonne ». Or, il semble bien qu’à cette époque les menuisiers d’Orthez aient voulu étendre leur territoire commercial jusqu’à Salies et concurrencer un art salisien qui essayait déjà de se soustraire à leur influence en variant à la fois la structure et la décoration de leur mobilier (voir l’armoire page 192 de Salies). Il parait fort vraisemblable que les orthéziens aient « chipé » ce motif salisien mais rien ne permet de l’affirmer et Salies devra attendre la fin du XVIIIe siècle pour qu’un certain Isaac Bergeras lui apporte, en ce qui concerne l’ébènisterie, une véritable notoriété.
On trouve au cœur du vantail supérieur une marguerite stylisée enserrée dans un quadrilobe très finement mis en relief. L’ensemble de la pointe de diamant très profondément sculptée forme un contraste esthétiquement très intéressant.
Le cœur du panneau inférieur propose une fleur stylisée rayonnante de même facture.
Sur la traverse supérieure, une arabesque de framboises bordée de chaque côté d’une croix basque, a en son centre une étoile à cinq branches dont nous reparle-rons plus loin.
Le mobilier s’orne, ensuite, de la croix de Malte, si difficile à réaliser. Ce motif confirme bien la date de 1760 que nous avançons pour ce meuble.
Ce cabinet de style Louis XIII, à quatre portes, a une particulière élégance. Chaque vantail est décoré d’une croix de malte fleurdelisée et cerné d’un liseré qui met les motifs en valeur. La beauté de ce meuble tient à ses panneaux latéraux dont les motifs, à pointes de diamant, coïncident exactement avec les vantaux et les tiroirs, ce qui lui donne une grande harmonie. On notera que le tiroir du bas a été transformé en abattant, probablement parce qu’il était trop lourd à tirer.
Il est à comparer à l’armoire ci-dessous de construction classique. Elle est originaire de Thèze et comme bon nombre d’armoires et de cabinets de ce type dans cette région, ses fleurs de lis n’ornent que les panneaux du haut.
Comme pour le meuble à panneaux quadrilobés, on peut dire que ce meuble est de « tout le Béarn ». Mais il va prendre une élégance certaine à Orthez …
… comme l’atteste cette somptueuse armoire Louis XIII à deux portes latérales, d’un grand classicisme et aux sculptures très soignées.
Les portes latérales et principales ornées des mêmes motifs et traitées dans une remarquable harmonie de dimensions confèrent à ce meuble une certaine majesté confortée par la prestance de son assise. Le meuble se distingue par la décoration du panneau oblong séparant les deux panneaux identiques à croix de Malte fleurdelisée de chaque vantail: une chaîne de mariage faisant trois boucles enserrant chacune une marguerite. Les motifs plus sobrement réalisés sur les portes latérales (pas de fleur de lis ni de chaîne de mariage) ceinturent élégamment l’armoire.
… et nous voici en 1764: un édit permet à la minoterie d’Orthez de se développer considérablement, ne restreignant plus sa fabrication aux seules îles d’Amérique. Orthez est devenu très riche, les meubles qu’elle fabrique suivent cette évolution.
Mais peut-être la trouvez-vous chargée et non conforme à la classique discrétion orthézienne ? Vous avez raison ! Mentalement, ôtez-lui le décor d’arabesques et de framboises qui orne ses traverses supérieure et inférieure: c’est comme cela qu’elle était au XVIII° siècle.
Cette splendide armoire de structure Louis XIV est en noyer pour les façades et en chêne pour les côtés. La décoration de son tiroir et des panneaux oblongs de cette très belle orthézienne à deux portes latérales lui confère une rare élégance rehaussée par le motif en chaîne de la corniche et le pied cannelé rectangulaire.
Les panneaux des portes des façades sont des quadrilobes très moulurés dont le centre représente une fleur stylisée. Le panneau de côté est fait de motifs à pointes de diamant dont la sculpture centrale est une marguerite qui épouse la forme de la pointe.
Nous voici en 1770 et, après ces années d’euphorie économique, on note, à Orthez, une certaine récession. C’est que les orthéziens sont des fabricants mais aussi de grands exportateurs.
Dès 1730, ils s’étaient affirmés dans l’ensemble économique espagnol et commerçaient avec l’immensité de l’empire des « Indes de Castille » par Cadix, grande capitale européenne. Ils exportaient le cuir de leurs tanneries, leurs salaisons … et bien d’autres choses encore. L’Espagne était considérée comme le Pérou et le change de la monnaie si avantageux qu’on y faisait de très bonnes affaires. Quantité de familles s’enrichirent « par cette vaine abondance de l’or du Pérou et du Mexique » (Abbé Roubaud). Ce succès économique est tel qu’en 1770, il engendre un phénomène de rejet de la part des espagnols et des édits royaux interdisent rapidement l’entrée de certaines marchandises.
Orthez exportait plus encore par le port de Bayonne vers les îles d’Amérique et la Nouvelle-France (farines, salaisons, cuirs, savons, et même des « Samadet »). Ils s’étaient aidés en cela en aménageant le port de Bellocq qui permettait un transport rapide et peu onéreux jusqu’à Bayonne (sur des bateaux plats). Après la guerre de sept ans, la France cède le Canada aux Anglais qui, en 1764, promulguent les « navigation acts » pour protéger leurs propres commerce et industrie. La réaction américaine ne se fait pas attendre. Après quelques incidents comme l’incendie de bateaux anglais, les américains colonisés transforment leur marine marchande en marine de guerre (deux mille bateaux) et, en 1775, commence la guerre d’indépendance des Etats-Unis. Les transports par mer deviennent si difficiles et si risqués que le commerce extérieur d’Orthez va beaucoup en souffrir.
La fermeture des portes d’Espagne et des colonies d’Amérique sera la cause d’une récession économique certaine à Orthez. L’artisanat de luxe, comme l’ébénisterie va en souffrir progressivement.
Nous aurons, cependant, encore le plaisir de voir la fabrication de quelques-unes de ces somptueuses armoires orthéziennes de style Louis XIV comme celle-ci …
… Très allurée, elle met sa note d’élégance dans son imposante corniche à deux ressauts, soulignée d’une chaîne très sobre et dans sa base a deux tiroirs, ornée simplement, de part et d’autre, d’une fleur de lis
… ou majestueuse comme cette armoire à deux portes latérales commandée pour une très riche demeure ou peut-être pour un prélat.
Elle est tout à fait orthézienne par son double corps, sa corniche à deux ressauts, ses élégis sur le montant, son grand tiroir sobrement décoré.
Elle a, dans ses vantaux, une richesse décorative extraordinaire: le panneau inférieur de chaque vantail reproduit un motif de feuillage dans un quadrilobe très mouluré, tandis que le haut, de style classique Louis XIV représente une croix de Saint-André entourée de quatre fleurs de lis stylisées dans un carré à croisillons.
Nous noterons, enfin, son magnifique pied boule ciselé.
Les motifs géométriques en forme de crochets, au quatre coins du panneau du bas, et en forme de « S » (à l’endroit ou à l’envers) font partie des décors de Thèze.
… ou élégante comme cette armoire à porte latérale connue ,depuis toujours, dans cette maison située à une vingtaine de km à l’est d’Orthez.
En chêne, elle est de structure orthézienne par son double corps, ses élégis sur le montant, son grand tiroir décoré au centre d’un quadrilobe.
Les écoinçons de la corniche sont en creux.
Les vantaux de l’armoire sont composés de deux panneaux asymétriques. Le panneau du bas de forme carrée est orné d’un quadrilobe rehaussé à chaque angle par une moulure. Le panneau du haut à plates-bandes est très finement quadrillé en son centre (le quadrillage est rehaussé de fleurs stylisées à chaque intersection). La traverse du haut du vantail est chantournée et intègre ainsi le style régence.
Le montant du corps du bas est décoré d’une feuille d’acanthe.
Le meuble repose sur deux superbes pieds en forme de griffe.
La porte de côté est encastrée dans le bâti contrairement à l’armoire précédente.
Ces meubles Louis XIV orthéziens sont à comparer avec ceux qui se firent dans tous les coins du Béarn, à la même époque.
Cette armoire cossue, originaire de Monein, a, aux pieds près, toutes les caractéristiques de celle d’Orthez et n’en diffère que par les étoiles et le petit coeur de la traverse supérieure qui permettent d’en déterminer l’origine exacte.
Celle-ci, d’une rare beauté, nous vient de Bielle et ne se différencie de celle d’Orthez que par le motif central des vantaux.
Bielle est une cité de la vallée d’Ossau au passé très riche: de jolies maisons du XVI° et XVII° siècles, un château du XVIII° et l’église gothique en témoignent.
Sous la dépendance du vicomte de Béarn, des rois de Navarre et de la couronne jusqu’à la révolution, elle voit du beau monde. Son mobilier ressemblera plus à celui des belles demeures citadines qu’à celui de nos vallées de montagne.
Du XVII° siècle et d’inspiration gothique étaient ses coffres, d’inspiration orthézienne seront ses jolies armoires du XVIII° siècle, comme celles, d’ailleurs, de presque tout le Béarn.
Nous voici presque en 1780. Le commerce extérieur orthézien connaît toujours de grosses difficultés: les portes de l’Espagne se ferment de plus en plus, la guerre d’indépendance des Etats-Unis continue … Les récoltes, elles-mêmes, ne sont guère brillantes. Orthez vit cependant: elle vend ses cuirs, ses jambons; Son commerce intérieur est toujours florissant, mais elle a réduit son train de vie.
C’est alors qu’apparaît cette armoire de belle facture mais beaucoup plus discrète que les précédentes:
Elle est à deux corps, sans porte latérale. La traverse du haut porte une cive centrale entourée de deux élégis. Le corps du bas a un tiroir en applique sans motif, seul un élégi décore les montants.
Ses vantaux en applique, de structure Louis XIV, et ses décors ,de style régence, en font une armoire de transition, très orthézienne par son corps du bas et ses pieds élégants.
Elle est suivie très rapidement de cette armoire aussi sobre qu’élégante.
Elle est encore Louis quatorzième par sa partie supérieure, avec ses portes aux moulures classiques en haut et ses panneaux quadrilobés en bas. Sa touche d’élégance est sur sa traverse supérieure décorée d’une cive, séparant deux motifs à croisillons que l’on retrouvent aux quatre coins des quadrilobes du bas. La base, enserrant un grand tiroir classique, avec ses pieds galbés nouveaux et son décor chantourné inhabituel n’est plus Louis quatorzième.
Le style Louis XV est arrivé à Orthez.
On est en 1780.
Chaussée en style Louis XV, l’armoire de 1780 gardait son élégance, sa discrétion et sa qualité, pourtant elle n’eut pas le succès escompté et marqua même le déclin de ce qu’on appelle couramment « l’Ecole d’Orthez ».
Certes, Orthez venait de vivre ses plus belles années. Elle était devenue une vraie ville aux jolies maisons à toits rouges et pentus, aux hôtels particuliers entourés d’agréables jardins, aux entreprises industrielles et commerciales bien installées mais, à la fin du 18° siècle, elle ne roulait plus sur l’or.
Aussi, peut-on se demander si ce manque de succès est dû à une situation économique moins favorable ou si, simplement, la légèreté et la fantaisie du pied Louis XV ne correspondait pas au tempérament solide des orthéziens. A ces deux causes, on peut, sûrement, en ajouter une troisième, plus péremptoire.
En effet, dès 1750, la noblesse avait envoyé ses fils puînés faire carrière chez les cadets de Gascogne et ils en avaient rapporté le goût des salons parisiens somptueusement meublés en même temps que des commodes à façades ventrues, des chiffonnières à tiroirs laqués, des bureaux Louis XV en marqueterie, des trumeaux … Un peu plus tard, les bourgeois d’Orthez qui vendaient avec difficulté à l’étranger s’étaient tournés vers Paris pour faire commerce et avaient développé un réel penchant pour ces meubles plus décoratifs qu’utilitaires, ce qui fait que, vers 1780, tout ce qu’Orthez et sa région comptait de gens « à l’aise » et, par ailleurs, déjà fournis en grandes armoires, avait envie de ce nouveau mobilier.
Cette fabrication ne s’improvise, hélas, pas: si nos menuisiers savaient parfaitement travailler le bois massif, ils ne connaissaient pas les techniques relatives au placage, aux vernis, aux laques … Ils ne purent donc contenter leur clientèle. Ils firent encore des armoires à l’identique de celles qui avaient eu du succès, les décorant moins, à cause de la conjoncture, mais ils ne surent pas renouveler leur art dans le goût du moment et se transformer en véritables ébénistes.
Avant de quitter Orthez, essayons de définir le meuble qui fît sa renommée et de voir comment ont travaillé ses artisans pour lui donner tout son prestige.
Le meuble orthézien est toujours un meuble de grande facture, souvent extrêmement bien chaussé. Très classique, parfois austère ou, quand les conditions économiques l’ont permis, fort richement décoré, sa caractéristique est d’avoir eu, dans sa structure Louis XIII, des panneaux identiques (pointes de diamant, quadrilobes, croix de Malte … ) et d’avoir su, à l’heure qu’il a choisi, évoluer vers le style Louis XIV de très élégante façon, tout en conservant ses attributs béarnais.
Il semble avoir suivi l’évolution industrielle de la ville qui l’a vue naître, sans toutefois se défaire de son caractère artisanal: aucune manufacture de meuble n’est signalée dans l’Orthez du 18° siècle et l’ensemble de la fabrication paraît être le travail de petits ateliers situés dans le nord du Béarn et animés d’un esprit corporatif tel que nos artisans se fixaient, entre eux, des règles quant à la qualité et à l’esthétique et qu’ils se tenaient au courant de l’évolution des commandes, se partageant, éventuellement, le travail dans le but de garder une unité à leur profession.
Le rayon d’action direct de ces ébénistes semble être d’une trentaine de kilomètres aux alentours d’Orthez pour ce qui est des zones rurales où il n’y avait que des chemins. Il était beaucoup plus large quand les routes étaient tracées, ce qui s’explique fort bien, à la fois, par la vocation commerciale de cette cité et sa position stratégique. Nous sommes sûrs que ce mobilier a, au 18° siècle dépassé les limites de la province mais, très probablement, a-t-il aussi voyagé au delà de nos frontières.
Le meuble orthèzien a, jusqu’à la révolution, rayonné sur l’ensemble du Béarn, et même là où régnait le » Style Morlaàs « . L’habitude a donc été prise de parler d' »Ecole d’Orthez » pour le définir. Il ne faut pas, cependant, oublier que si le meuble d’Orthez a toujours été parfait, d’autres, nés ailleurs en Béarn et qui ne s’en sont que très peu différenciés ont mérité autant d’honneur et ne faudrait-il pas plus simplement parler de l' »Ecole Béarnaise du 18° siècle » ?
La classique et élégante armoire orthézienne n’a pas pour autant fini de faire parler d’elle.
A la fin du 19° siècle, Pierre Chevallier, ébéniste de qualité, a une certaine notoriété: il fait de jolis meubles de style Henry II, mais il n’aime pas la sobriété: aussi décore-t-il leurs panneaux des motifs béarnais du 18° siècle: croix de Malte, fleurs de lis … Il transforme les vieilles bonnetières à « cul de bouteille » en buffet bas à deux portes et à deux tiroirs et … il signe.
Travaillant dans les vieilles familles orthéziennes, il restaure aussi leurs meubles familiaux des siècles précédents, si sobres, si élégants, leur rajoutant, chaque fois qu’il le peut, ce motif si cher à Salies de Béarn avant l’ère des Bergeras: des arabesques, des framboises ou des fleurs à quatre pétales; parfois même, comme en bas du beau meuble à quadrilobes (dont nous vous avons parlé en page 18) ou du cabinet de la page 12, rajoute-t-il l’étoile à cinq branches caractéristique de Salies … Et c’est ainsi que certains meubles, très sobres à l’origine, se sont parés d’arabesques dont, peut-être, ils auraient pu se passer.
Cette belle armoire de style Louis XIII en chêne, aux panneaux typiquement orthéziens, aux montants et à la traverse supérieure décorée de motifs délicats de style Louis XIV, très prisés à Orthez, en est-elle un exemple ?
A vous de juger.
Nous ne pouvons affirmer qu’aucun meuble orthézien n’ait eu ce décor d’arabesques et de framboises à l’origine, mais nous ne les avons jamais trouvés sur des meubles orthéziens situés hors du périmètre d’action de Chevallier.
Après des heures de gloire, Orthez connaît donc, vers 1780, un réel déclin en ce qui concerne l’art du meuble. Ce déclin ne l’amènera pas à la rupture. Tout au contraire. Au cours des deux siècles suivants, Orthez continuera à aimer le meuble et à le fabriquer dans le cadre de petites ou de grosses entreprises, mais, cycliquement, elle passera par des phases de grand développement et des moments de récession. Chaque fois qu’elle le pourra, elle essaiera de jouer, comme par le passé, le jeu de l’exportation.
La seule chose qu’Orthez perdit définitivement, vers 1780, c’est ce caractère intrinsèquement béarnais qu’elle avait su si bien donner à sa production.
Cette belle armoire de style Louis XIII en chêne, aux panneaux typiquement orthéziens, aux montants et à la traverse supérieure décorée de motifs délicats de style Louis XIV, très prisés à Orthez, en est-elle un exemple ?
A vous de juger.
Nous ne pouvons affirmer qu’aucun meuble orthézien n’ait eu ce décor d’arabesques et de framboises à l’origine, mais nous ne les avons jamais trouvés sur des meubles orthéziens situés hors du périmètre d’action de Chevallier.
Après des heures de gloire, Orthez connaît donc, vers 1780, un réel déclin en ce qui concerne l’art du meuble. Ce déclin ne l’amènera pas à la rupture. Tout au contraire. Au cours des deux siècles suivants, Orthez continuera à aimer le meuble et à le fabriquer dans le cadre de petites ou de grosses entreprises, mais, cycliquement, elle passera par des phases de grand développement et des moments de récession. Chaque fois qu’elle le pourra, elle essaiera de jouer, comme par le passé, le jeu de l’exportation.
La seule chose qu’Orthez perdit définitivement, vers 1780, c’est ce caractère intrinsèquement béarnais qu’elle avait su si bien donner à sa production.