Culture
Les ateliers d’entre les deux Luys
L’Entre-deux-Luys est cette langue de terre verdoyante et mouvementée située au nord-est du Béarn entre les Luys de France et de Béarn. Il s’étend du nord-ouest au sud-est entre les Landes et le Vic-bilh et est jalonné de nombreux villages.
Au 18° siècle, cette région vouée uniquement à l’élevage est très isolée du reste du Béarn du fait qu’aucune route ne la relie aux villes les plus proches: Orthez, Morlaàs, Thèze … Elle n’est qu’une voie de transhumance des animaux vers Dax, Bazas et Bordeaux …
Jusqu’aux environs de 1770, presque tout le monde est pauvre dans l’Entre-deux-Luys: les plus démunis, parfois, meurent de faim le long des chemins de campagne, ceux qui ont du travail se nourrissent de pain, de soupe et de broye (Bouillie de maïs) et les nobles eux-mêmes ne vivent pas dans le luxe: il en est, pour s’en convaincre, de lire l’inventaire du château de Viven au moment de la révolution.
L’intendant d’Etigny (Essai sur le Béarn pendant l’Intendant d’Etigny – Jean Lafond 1909) s’émeut de ce que ces régions à vocation rurale ne puissent produire de grains que pour six mois de consommation annuelle. Il analyse les causes de cette carence et considérant que « toutes les pratiques sont admissibles pour mettre en culture toute sa province » (Le bétail avait droit de parcours sur tous les communaux et le droit de clôture était très limité) donne, par l’édit de décembre 1767, le droit « à tous propriétaires, cultivateurs, fermiers et autres de Béarn de clore leur héritage », « sans intercepter les passages nécessaires », puis il met fin au régime de la grande propriété communale et autorise le partage des communaux et des propriétés privées par familles. Les propriétaires expropriés font de gros bénéfices mais on défriche, on sème, et, en quelques années, l’Entre-deux-Luys devient un coin de Béarn où il fait bon vivre.
Entre 1780 et 1790, les maisons sortent de terre, les artisans s’activent et la région devient riche alors qu’au même moment, Orthez voit le déclin de son industrie, de son commerce et, par voie de conséquence, de son artisanat.
C’est à cette époque que les meilleurs menuisiers d’Orthez, alertés par leurs collègues mieux lotis, prennent la route pour aller là où ils peuvent espérer du travail.
Les caprices de la nature aident cette région de façon inattendue: les récoltes de céréales en 1787 et 1788 sont médiocres.et les prix montent et, ce d’autant plus que les fermiers, les grands propriétaires et les nobles qui bénéficient de droits en nature se mettent à stocker pour vendre mieux. A Orthez, le froment et le maïs triplent de prix entre janvier 1788 et juillet 1789. Une certaine spéculation, que personne ne songe à arrêter, s’empare de l’Entre-deux-Luys, ce qui n’aide pas les plus pauvres mais fait sortir la région de son marasme.
Les menuisiers venus d’Orthez peuvent enfin ressortir leurs scies, leur rabot, leur varlope … et faire pour une héritière bien nantie ce joli meuble.
Cette armoire de style Louis XIV est tout à fait orthézienne par son double corps, ses pieds cylindriques sculptés et ses vantaux où l’on retrouve à la fois le quadrilobe et les croisillons à fleurs.
Elle se détache de l’art orthézien par cette magnifique étoile à huit branches très caractéristique de l’Entre-deux-Luys.
A l’extrémité de la traverse haute, deux étoiles rehaussent le motif central typiquement thézien.
Le quadrillage en nid d’abeilles, appelé souvent croisillons, est un motif que l’on retrouve fréquemment entre 1755 et 1800 sur le mobilier de facture orthézienne, spécialement celui de l’Entre deux Luys et de Monein.
Il peut être simple, ou bien chaque croisement peut s’orner de quatre feuilles, le dessin peut être très discret ou assez prononcé, ce qui est le cas le plus fréquent.
Après 1800, nous retrouverons ce motif, sans décoration ou simplement orné d’un point central, à Monein dans les décors géométriques des armoires inspirées du Directoire.
Tandis qu’à Orthez, Salies, Pau, l’agitation révolutionnaire est à son paroxysme pour cause de disette, la révolution ne trouble guère les paisibles villages de l’Entre-deux-Luys.
Et, c’est tout aussi paisiblement que le huit février 1790, Jeanne Cassagnau de Momas épouse Jean-Pierre Poey de Mazerolles et apporte en dot cette splendide armoire dite « de l’héritière ».
Comme la précédente, elle est de structure typiquement orthézienne et il est intéressant de la comparer à celles des pages 116 et 119 : nous retrouvons dans les trois meubles des éléments d’ensemble aux proportions similaires émergeant d’une base de dessin identique.
On notera la corniche sculptée à double ressaut ornée à sa base d’une chaîne de mariage, les élégis des montants, les pieds sculptés en griffes, les croisillons fleuris des élégis de la traverse supérieure et du quadrilobe des portes: tous ces éléments sont très orthéziens.
Le panneau central de chaque vantail est décoré de fleurs de lin comme à Morlaàs.
La grande caractéristique est l’étoile à huit branches, chère à l’Entre-deux-Luys.
Cette armoire avec ses fleurs de lin est le premier témoin de l’intégration d’éléments typiques de Morlaàs dans le meuble de cette région et donc de l’exode des meilleurs ouvriers morlannais à la recherche, comme ceux d’Orthez, de travail.
Nous voici en 1793.
La convention déclare la guerre à l’Espagne en même temps qu’elle poursuit celle contre l’Angleterre: les importations de blé venant de Londres ou d’Amsterdam cessent complètement tandis que des troupes stationnent en Béarn et que les besoins en nourriture deviennent exceptionnels. Le gouvernement taxe et réquisitionne le grain et la viande mais il s’établit un marché parallèle où les producteurs ne sont pas perdants.
Dans le même temps, les biens ruraux des émigrés sont vendus aux enchères et mis en valeur par les paysans.
L’Entre-deux-Luys devient « à l’aise ».
Et les ébénistes d’Orthez, de Thèze et de Morlaàs mêlant, dans un même creuset, leur technique et leur art font jaillir le meuble dit « des ateliers d’Entre-les-deux-Luys » aux caractéristiques si spécifiques et au charme certain.
Ce vaisselier, de construction élaborée, réalisé pour une maison construite en 1787 semble avoir été fait cinq ou six ans plus tard.
Il est porté par une base Louis XV (encore un peu gauche au niveau des pieds) qui n’avait pas réussi à s’affirmer à Orthez en 1780 et qui deviendra un élément primordial du meuble de l’Entre-deux-Luys.
Les portes ornées de l’étoile à douze branches, à semis de fleurs, sont extrêmement répandues dans cette région.
On notera aussi l’apparition d’animaux sur la traverse inférieure: deux chiens à la queue en l’air, en vis à vis, semblent vouloir dévorer le motif central appelé « poule » en Béarn.
Cette armoire, en noyer et chêne, au piétement Louis XV très fin a beaucoup des caractéristiques des meubles de l’Entre-deux-Luys:
- le quadrilobe qui orne le panneau inférieur de ses vantaux,
- les croisillons fleuris que l’on trouve dans les élégis de sa traverse supérieure et à l’extérieur des motifs des panneaux des deux portes,
- l’étoile qui est ici à six branches.
On notera la marguerite béarnaise qui orne le centre du dormant et la coquille Saint-Jacques de la traverse, ainsi que l’asymétrie des décors du tiroir qui donne à ce meuble sa personnalité.
Ce buffet à deux corps a toutes ses portes ornées d’une étoile à huit branches à semis de fleurs.
La poule centrale de sa traverse inférieure est surmontée d’un large dormant sculpté.
Les vantaux du corps inférieur s’affirment dans leur partie supérieure où nous voyons apparaître un motif sculpté appelé souvent « saumon » en Béarn en raison de sa forme et, peut être aussi, de la profusion de ces poissons dans la province.
On notera le volume particulier, un peu plus profond et un peu plus cossu, de ce meuble.
Ce meuble, en chêne, intégre simultanément le style Louis XV dans son piétement et Louis XVI dans sa corniche et ses montants.
Il porte de nombreuses caractèristiques de l’armoire de l’Entre les Deux Luys: le « saumon » sur le panneau supérieur, le quadrilobe étoilé, les « poules » des traverses et les croisillons.
Le buffet est imposant dans ses proportions et surtout celles de ses pieds Louis XV qui ne s’enroulent que d’un seul côté.
Les portes assimilent le style Louis XVI par la découpe de leur traverse basse.
Il porte la signature de l’Entre deux Luys à la fois par les croisillons et par l’étoile à huit branches et à semis de fleurs que l’on retrouve sur les portes et sur le dormant où il interrompt la cannelure.
Jusqu’en 1800 environ, les étoiles sont un élément très décoratif du meuble de l’Entre deux Luys. Elles ont un nombre variable de branches, parfois six, souvent huit, quelquefois douze, d’inégale grandeur et souvent décorées d’une fleur à quatre pétales à chaque extrémité. Il semble bien, qu’à cette époque, l’étoile ait tenu lieu de signature à nos menuisiers.
Nous trouverons aussi des étoiles à Monein et il sera parfois difficile de savoir si tel ou tel meuble est de Monein ou de l’Entre deux Luys.
L’armoire aux perdreaux et aux chiens
Ce meuble originaire d’Uzan (même région), faîte de trois bois différents, merisier pour les portes, châtaignier pour le bâti et chêne pour les panneaux, a un piétement de style Louis XV très proportionné.
Par rapport aux armoires précédentes, il évolue dans son style propre en enrichissant tous ses décors.
Chaque vantail voit sa traverse médiane s’obliquer légèrement et se chantourner dans un décor évoluant en volute, tandis que le « saumon » (On a voulu voir une influence landaise dans les motifs du haut des panneaux chantournés élargis en feuilles et appelés « saumon » en Béarn. On le retrouvera souvent réduit à l’état d’épi sur l’armoire animalière de Monein) de sa traverse supérieure prend du relief et que le quadrilobe béarnais orné de son étoile traditionnelle ne définit plus, à lui tout seul, le panneau inférieur mais en devient un élément de décoration.
Les perdreaux et les chiens disposés symétriquement autour de la « poule » centrale de la traverse supérieure ont l’air un peu maladroits et très naïfs.
Cette armoire pourrait être datée des environs de 1800. Elle a été beaucoup reproduite. Quelques variantes au niveau du décor personnalisent chaque meuble:
- En ce qui concerne les vantaux, le panneau supérieur est parfois orné de motifs floraux sculptés, la traverse médiane d’un deuxième « saumon ».
- Les animaux de la traverse haute sont quelquefois remplacés par des arabesques florales ou simplement par un croisillon fleuri.
En 1804, Bonaparte couronné Empereur veut régner sur l’Europe et déclare la guerre aux grandes nations européennes dont l’Espagne. Jusqu’à la chute de l’empire, en 1814, l’économie béarnaise va beaucoup se ressentir du blocage des échanges commerciaux mais aussi de l’état d’insécurité qui règne dans la province: la « bande à Morillo » et la « bande à Mina » sèment la terreur. Orthez et sa région, en particulier, sont le siège de réquisitions et de vols de vivres qui dureront jusqu’à la bataille d’Orthez (1814).
L’Entre-deux-Luys ne se soucie guère de cette crise générale. Pendant ces heures critiques, il vit paisiblement. Eloigné des grandes voies de communication, il continue à travailler sans angoisse, mieux, il recueille les fonctionnaires des différentes administrations et les gens aisés qui ont peur et qui viennent de Mauléon, Pau ou Oloron.
Dans ce contexte béarnais, très perturbé, les ébénistes de l’Entre-deux-Luys ont tout le loisir de créer des meubles aux lignes douces, aux oiseaux enlacés … et d’une richesse décorative certaine.
Ce magnifique buffet en noyer trouve son homogénéité dans un mélange de styles et d’influences tout à fait remarquables.
- Orthézien par sa structure à double corps, sa corniche à deux ressauts et ses montants fort joliment décorés,
- Louis XIV ème par ses portes du haut et son superbe pied (qui demande pour être totalement apprécié un examen à la loupe),
- Béarnais par sa porte latérale gauche (dont on ne voit que la clef) prise dans le panneau de côté,
- Thézien par les décorations de son bâti, il porte la signature de l’Entre-deux-Luys par les « saumons » de ses portes hautes et par les croisillons fleuris qui décorent les élégis de ses montants.
- Les fiches de la hauteur des portes dans la mesure ou il n’y a pas eu de restauration, nous font dater ce meuble du début du XIX° siècle.
L’armoire aux animaux mythiques
Cette armoire en chêne, à piétement Louis XV, a:
- une corniche à deux ressauts et des élégis orthéziens,
- un animal mythique à queue de mammifère de part et d’autre de la « poule » centrale qui appartient au décor de Morlaàs,
- le « saumon » de l’Entre deux Luys sur la traverse supérieure de chaque vantail.
Relativement sobre dans ses décors, sa caractéristique est l’abandon, sur le panneau inférieur des portes, du quadrilobe, ainsi qu’une recherche de décoration de la traverse intermédiaire qui se concrétisera, très heureusement, dans les armoires suivantes.
On peut se demander si l’ébéniste n’a pas choisi délibérément d’abandonner les attributs spécifiques au Béarn en raison du mal de vivre qui y sévissait. Des décors béarnais ne subsistent, sur ce meuble, que la marguerite centrale de la « poule » de la traverse inférieure.
L’armoire aux oiseaux
De même structure que l’armoire étudiée précédemment, ses moulurations sont identiques.
Sur la traverse supérieure, deux oiseaux très stylisés à queues de coq entrain de grappiller font partie du bestiaire de Morlaàs.
L’abandon du quadrilobe semble définitif et l’ultime décor du Béarn a disparu: il n’y a plus de marguerite. L’artiste par contre a évolué dans sa recherche du décor de la traverse intermédiaire: deux oiseaux, en train de se bécoter réunissent les deux panneaux.
Ce meuble aux décors harmonieusement stylisés donne une impression de paix à laquelle nous avons été très sensibles.
Il est intéressant de noter qu’on trouvera sur les « armoires animalières » de Monein et dans ce même début du XIX° siècle des panneaux chantournés dont les volutes se rejoindront sur un décor d’oiseaux.
L’armoire aux petits coqs
De maître confirmé est cette grande armoire tout en noyer. D’allure Louis XIV eme, elle réunit tous les styles classiques couramment utilisés à la fin du XVIII° siècle.
Sous la corniche, de part et d’autre de la « poule », deux panneaux cintrés sont décorés d’un oiseau en vol à deux queues (oiseau et mammifère), copie exacte d’un motif de Morlaàs ainsi que d’un charmant petit coq de même graphisme.
L’évolution de la traverse intermédiaire est impressionnante: les deux oiseaux s’y bécotent toujours, mais « l’artiste » a su leur donner à la fois de l’ampleur et une grande richesse décorative.
Sur la traverse inférieure, deux chiens symétriques qui ressemblent beaucoup à ceux de la page … ont la même naïveté que les animaux que nous trouverons au chapitre suivant sur le meuble de Monein.
L’armoire aux saumons
Comme l’avait déjà été un sculpteur qui avait orné un bas relief de l’église d’Oloron, un de nos menuisiers fût sensible au charme du saumon et l’immortalisa sur le tiroir de cette très jolie armoire de noyer blond aux montants de chêne, fabriquée pour une maison de Thèze.
Elle est de structure typique de l’Entre-deux-Luys mais plus tardive que les précédentes: les motifs situés de part et d’autre du tiroir et ceux du dormant sont déjà du style Directoire.
Il est étonnant de constater que la plupart des éléments décoratifs de ce meuble se retrouveront sur ceux de Monein, le coeur, les motifs floraux et même les deux entailles rectangulaires de la traverse basse. On peut penser que l’armoire aux saumons a été faite vers 1815.
Deux graphismes totalement différents sont utilisés dans l’Entre deux Luys pour la réalisation des animaux: l’un, très stylisé qui nous vient des sculpteurs de Morlaàs, l’autre, très naïf et assez sommaire pour qu’on puisse, parfois, se poser des questions sur l’identité de l’animal, semble venir tout droit de Monein et puiser ses sources dans la vie de tous les jours (chasse, pêche).
L’armoire aux faisans
En chêne, cette armoire d’inspiration Louis XV, ressemble, dans ses proportions, à celles que nous trouvons à Monein.
Les attributs décoratifs restent cependant typiques de l’Entre-deux-Luys:
- deux faisans entourent la poule sur la traverse haute,
- le tiroir et la traverse basse sont classiques avec la marguerite centrale,
- les chantournements des panneaux et de la traverse basse se terminent par des arabesques en forme de feuilles très finement cannelées et toujours, en haut du panneau supérieur, le « saumon » stylisé,
- le dormant très large n’a plus la sobriété des armoires précédentes: il est décoré comme ceux de Monein, mais porte, cependant, les motifs plus sobres de l’Entre-deux-Luys.
Les propriétaires de cette armoire se souviennent qu’elle a été faite par un compagnon.
Les compagnons étaient d’anciens apprentis qui, avant de s’installer à leur compte, devaient, pendant cinq ans, parfaire leur apprentissage en travaillant chez différents « maîtres », ajoutant à leur technique le savoir-faire et la façon de faire des artisans des régions qu’ils visitaient. Ils devenaient « maîtres » à leur tour en produisant un chef d’oeuvre homologué par leurs pairs.
Les compagnons formaient des sortes de confréries ouvrières garantissant à chacun du travail et, à défaut, du pain.
Le compagnonnage aboli en 1791 fût rétabli à la restauration. Son fonctionnement ne fût, cependant, interrompu qu’administrativement tant est grande la force des habitudes.
Nous avons noté, tout au cours de ce chapitre, une similitude entre certains décors de l’Entre-deux-Luys et de Monein comme l’étoile, le quadrillage à semis, les animaux représentés naïvement et, dans le dernier meuble, la morphologie. Ce sont, probablement, les compagnons qui s’installaient successivement dans ces deux régions très paisibles, à cette époque où le reste du Béarn était troublé, qui ont colporté, d’un endroit à l’autre, les caractères spécifiques à chaque sorte de mobilier.
Des chiens, des perdreaux, des faisans, des bécasses, des saumons …, l’Entre-deux-Luys est vraiment un coin de Béarn heureux où, en ce début du XIX° siècle, il fait bon vivre.
Le meuble de cette époque est le témoin de l’art de vivre, de la richesse qui s’affirme et aussi de cette ouverture d’esprit qui permet à des menuisiers aussi différents au départ, dans leur âme et leurs conceptions, que ceux d’Orthez, de Thèze et de Morlaàs, de trouver une unité qui fera l’unanimité dans les villages puisque, dans chaque commune de l’Entre-deux-Luys, on trouve ces jolis meubles adaptés, par leur taille et par leurs décors, à toutes les maisons et à toutes les bourses.
Qui dit unité, dit creuset où les idées et le savoir peuvent se malaxer pour ne plus faire qu’un. La rumeur publique veut que l’emplacement de ce creuset ait été la commune de Bournos, située au sud-ouest de Thèze. Nous y avons cherché des ateliers, des archives, des rumeurs: nous n’avons rien pu découvrir.
Cependant, une étude quantitative des meubles qui sont ou viennent de tel ou tel village de cette région semble prouver que Bournos a bien été l’épicentre de cette fabrication et donc, que les ateliers se soient regroupés là, dès le début du XIX° siècle. Il semble même que nos ébénistes venus de Morlaàs et d’Orthez, quand ces deux villes vécurent leur récession, s’installèrent et redonnèrent vie aux ateliers de Thèze, situés non dans l’enceinte de la ville qui était trop petite, mais à Bournos situé à quelques kilomètres. L’existence d’un gros atelier à Bournos n’exclut cependant pas le travail de quelques menuisiers plus individualistes.
A l’issue de sa fabrication, le meuble de l’Entre-deux-Luys, fait généralement pour une future mariée, ne quittait pas sa région d’origine.
Un proverbe béarnais dit:
» Qui va luenh maridad
se non trompa qu’ei trompat «
» Qui va se marier loin,
s’il ne trompe pas, il est trompé «
La sagesse populaire, à cette époque d’incertitudes politiques et économiques, s’inspira beaucoup de ce dicton.
Le mobilier de l’Entre-deux-Luys, à très peu d’exceptions près, s’est vendu en Béarn dans la limite des deux rivières et n’a même pas franchi le Vic-bilh à l’exclusion du canton de Thèze auquel appartient Bournos: la route Pau – Aire, tracée à l’époque, semble avoir été une frontière infranchissable. Ceci s’explique aisément par l’enclavement de la région qui manque de routes et par le passage, en quelques décennies, de la pauvreté à l’aisance, ce qui a amené la construction ou l’agrandissement de nombreuses maisons et donné un travail énorme à tous les artisans.
Nos ébénistes, jusqu’en 1830, continuèrent à faire du mobilier béarnais mais, peu à peu, et, même dès avant cette date, on vit apparaître des meubles de style Empire puis de style Louis Philippe, en bois massif et d’une certaine lourdeur qui n’avaient plus l’élégance de ceux du Béarn et avaient perdu tout le particularisme de leur terroir.