Culture
Un meuble est toujours le reflet de son époque et de son terroir. Aussi, nous faut-il, encore, vous brosser un tableau rapide des conditions dans lesquelles travaillaient les hommes qui concourraient à sa fabrication, parler de leurs angoisses, de leur labeur, de leur tour de main, tout en donnant une description succincte de leurs techniques.
Légendes et traditions béarnaises
La forêt au début du 18° siècle faisait peur. A la veillée, elle était toujours le point de départ de contes et de légendes tout aussi angoissants les uns que les autres. Certes, il fallait parfois se forcer pour s’y aventurer, les soirs d’orage, en apercevant des lueurs blanchâtres sortant du sol de façon inexplicable (Certains troncs d’arbre comme le chêne et le châtaignier, deviennent phosphorescents en se décomposant.
Ils savaient, cependant, utiliser leurs bienfaits et connaissaient les usages thérapeutiques du frêne, du bouleau, du cerisier, du noisetier, du tilleul et même du diabolique sureau. Ils faisaient très souvent aussi, leur charpente en bois de châtaignier qui ajoutait à ses vertus, celle d’être un parfait antimite, qualité fort appréciée dans un pays où on élevait des moutons).
En Béarn, on craignait aussi d’y faire de mauvaises rencontres: c’est qu’elle abritait les cagots. On les disait lépreux, maudits, hérétiques …, bref, intouchables. Ils ne pouvaient, dans leur forêt, qu’être scieur de long ou préparer les bois de charpente. Seul, les prêtres les protégeaient leur donnant, à l’église, une entrée et un bénitier bien à eux.
Craignant leurs forêts, nos « dabances » faisaient de leurs arbres la source de toutes les malédictions. Certains avaient mauvaise réputation, comme le sureau qu’il ne fallait pas brûler dans sa cheminée sous peine d’attirer le diable ou le prunellier qui passait pour venimeux. Il était hors de question de faire la sieste à l’ombre d’un noyer sous peine de ne pas faire de vieux os. Enfin, nos anciens interdisaient aux enfants de frapper, dès le crépuscule, avec un bâton ou des pierres, les troncs d’arbre étendus par terre: on ne sait toujours pas pourquoi …
Inventaire de la forêt béarnaise
A l’exception de quelques procès-verbaux dressés par les commissaires réformateurs de Colbert, à partir de 1662, nous ne connaissons pas de statistiques générales sur l’état des forêts de France antérieurement à 1800.
Le conservateur des eaux et forêts, Dralet, estimait que du début du 17° siècle à 1820, les Pyrénées avaient perdu les deux-tiers de leurs forêts. Le déboisement fût particulièrement intense à partir de 1765.
Il était propre à chaque région et correspondait souvent à une utilisation particulière. Ainsi, la forêt d’Issaux, en vallée d’Aspe, fût totalement dévastée, en 14 ans d’exploitation, pour les besoins de la flotte. Les autres forêts béarnaises connurent une exploitation similaire.
Le nombre croissant de navires commerciaux et de guerre entame sérieusement les réserves forestières: il fallait près de 4000 arbres adultes pour construire un navire de ligne au milieu du XVIII° siècle et près de trente hectares de forêt de chêne pour un navire de guerre comme le célèbre Victory de l’Amiral Nelson.
La fourniture de bois d’oeuvre pour la marine fût un perpétuel problème pour le 18° siècle, mais peut-être n’est-ce pas la seule raison du déboisement ?
Sous l’impulsion de l’Intendant d’Etigny, le Béarn pénètre dans l’époque moderne, construit des routes, utilise le gave comme énergie motrice, essaie de mettre en valeur les ressources naturelles du pays. Dans cet esprit et en vue d’exploiter le bois béarnais, les Etats de Béarn font faire un inventaire en 1785.
Triste inventaire, en vérité. La commission constate un état de dégradation alarmant pour le bois de plaine. Le manque d’information et de coordination, au niveau des sénéchaussées, a été tel que l’exploitation de nos forêts a été faîte de façon totalement anarchique. Or, l’essor démographique des années 1730, suivi de l’essor économique rural de la seconde moitié du 18° siècle, a provoqué une augmentation importante du nombre d’habitations dont le bois a été l’élément de structure, le seul moyen de chauffage et le constituant unique du mobilier. La forêt a été exploitée en lisière: tout le monde s’est servi de ce dont il avait besoin et le plus près de chez lui pour s’éviter des transports précaires ou des coûts prohibitifs, selon une habitude séculaire de libre jouissance.
De cet inventaire, on a pu retenir que seules cinq essences ont été recensées: le châtaignier, le hêtre, le genévrier, l’aulne et plusieurs variétés de chêne. D’autres essences, comme le cerisier, le noyer, le buis, qui font le charme de nos beaux meubles béarnais, ne l’ont pas été parce qu’ils étaient trop près des maisons.
De l’arbre à la planche
Le bois de construction, comme le bois de chauffage, était souvent débité sur place, le plus près possible du lieu d’utilisation. Le bois était abattu en « période morte », c’est à dire lorsqu’il n’y a pas de circulation de sève: sans élément nutritif en surface, notamment au niveau de l’aubier, on empêche ainsi les insectes attirés par le « suc » d’y pondre leurs oeufs et d’infester le bois.
Au moment de l’abattage, les arbres contiennent toute leur eau (400 Kg d’eau par m3 pour un chêne sur pied), ce qui empêche le transport de troncs importants. Les moyens de transport et les chemins d’accès à ces arbres étaient tels qu’on laissait à l’arbre le temps de perdre son « eau libre » (*) sur place. La tradition voulait qu’à cette époque, on attendît un an après l’abattage pour toucher aux grumes. Passé ce délai, l’arbre, en contact permanent avec le sol, a tendance à pourrir du fait de l’humidité. Inversement, un manque d’eau provoque de larges fentes dans toute la masse du tronc.
Quand le bois avait perdu son eau libre, l’opération de débitage pouvait commencer. Le premier travail consistait à tracer les parties à scier. Le traçage était effectué au moyen d’une ficelle tendue d’un bout à l’autre du tronc, ficelle imprégnée de cendres ou de terre ocre. Celle-ci, une fois soulevée et lâchée, marquait le bois. Afin de faciliter la visibilité du marquage, on faisait quelques repères au couteau sur l’écorce.
Le sciage proprement dit se faisait à l’aide d’une grande scie à main maniée par deux hommes. Il s’effectuait de haut en bas. On juchait la bille obliquement sur un chevalet de fortune. Un des scieurs montait en équilibre sur l’extrémité haute de celle-ci tandis que l’autre se tenait en dessous. Le système impliquait de basculer le tronc à mi-travail et les risques étaient permanents pour le scieur du dessus qui n’avait que sa scie pour se tenir( qui ne le tenait guère quand il sciait les extrémités). Celui du dessous, lui, recevait toute la sciure.
Le bois, alors scié en planches ou en madriers, ne pouvait être utilisé tel quel sans risques de gauchir ou de se déformer. Le bois doit en effet, pour être travaillé dans des conditions optimales, atteindre un degré hygrométrique spécifique, relatif à ses conditions d’utilisation. Pour un bois de charpente, on considère que 20 % d’humidité sont correct, alors que pour du meuble, il est préférable de tendre vers 12 %.
Le bois devait alors « finir » de sécher. Il était empilé de façon à ce que l’air puisse circuler entre chaque planche ou chaque madrier. Les planches étaient disposées à plat et séparées par des pierres ou des cales de bois. L’épaisseur de ses cales était proportionnelle à l’épaisseur des bois à sécher afin de limiter la circulation de l’air qui, si elle est trop rapide, peut provoquer des fentes et des gerces de surface nuisibles pour la mise en oeuvre du mobilier.
La durée de séchage était mal définie. Il était de coutume de laisser le bois sécher pendant une période de deux à trois ans avant de le travailler et ce quelle que soit son épaisseur. En ce qui concerne le mobilier, il était impératif que l’humidité requise pour le bois soit atteinte: le bois a en effet la propriété de se rétracter quand il perd de l’humidité en dessous de son point de saturation (à peu prés 30 % d’humidité). Quand on regarde la précision des assemblages sur les meubles, on se rend compte qu’on ne peut se permettre un retrait intempestif et non maîtrisé du bois. C’est pourquoi la tradition voulait que le bois utilisé pour le mobilier sèche pendant un an par centimètre d’épaisseur.
Quand le bois était jugé apte au service, certains menuisiers ou charpentiers le « désinfectaient » : ils passaient les planches à la flamme d’un feu de copeaux qui brûlait les larves. Il semble que cette carbonisation superficielle évitait l’attaque des lyctus et des vrillettes.
Un bois abattu mettait de quatre à cinq ans pour devenir une armoire. La sagesse populaire voulait donc que tout événement familial, mariage, construction, agrandissement de la maison, soit prévu longtemps à l’avance.
Les essences utilisées en Béarn
Les essences les plus fréquemment utilisées étaient le chêne, le châtaignier, le noyer, le merisier et le sapin.
Les essences durables étaient utilisées fréquemment pour le bâti: ce sont le chêne et le châtaignier. Au contact avec le sol, les pieds résistaient beaucoup plus longtemps à l’humidité. Ces essences étaient parfois utilisées pour la totalité du meuble.
Le merisier et le noyer, bien qu’ils puissent être le matériau unique du meuble, étaient souvent associés au chêne (plus souvent que le châtaignier qui est plus difficile à travailler). On s’en servait, alors, pour réaliser les façades ou les parties décoratives du meuble.
L’homogénéité de ces bois offre une certaine facilité de travail quant à la réalisation des sculptures et leur aptitude à recevoir un polissage ou une finition brillante qu’on ne trouve pas dans les bois hétérogènes comme le chêne et le châtaignier.
Il est d’ailleurs très facile de reconnaître un bois hétérogène en regardant sur ses meubles les limites de cernes. Si ceux-ci présentent des grains de tailles ifférentes, on a certainement affaire à un chêne ou un châtaignier, sinon, c’est un fruitier.
Notons que le chêne et le châtaignier sont des bois dits à tannin (celui-ci était d’ailleurs récupéré pour le tannage des peaux à Orthez). Ce bois à la faculté de s’oxyder en surface, ce qui rend le bois plus foncé et explique, parfois, les différences de teintes sur les meubles comportant plusieurs essences.
Le sapin était utilisé dans les vallées de nos montagnes, mais comme c’est un bois moins durable que le chêne ou le châtaignier, nos anciens ne manquaient jamais, dans les contrats de mariage, et ce jusqu’au début du 18° siècle, de préciser le matériau du coffre « courau de castaing ou de cassou », coeur de châtaignier ou de chêne.
Il faut enfin remarquer que certains meubles peuvent présenter, sur des panneaux ou des montants, une asymétrie des essences. On pourrait penser qu’il s’agit là d’une restauration. C’est bien souvent le cas, mais il faut aussi admettre que, parfois, cette hétérogénéité est d’origine: une erreur d’estimation des quantités nécessaires, un trait de scie ou un coup de varlope malencontreux, voire l’attaque inopinée de vers, malgré les traitements préventifs, pouvait amener l’artisan à finir le meuble en récupérant, dans l’atelier, un morceau de bois quelconque, reste d’un chef-d’oeuvre précédent. Cela se fait encore aujourd’hui …
La finition des meubles béarnais
Les ébénistes du 18° siècle ne pouvaient en mesurer le degré d’humidité du bois de manière précise, aussi, dans le doute, laissaient-ils le bois sécher le plus longtemps possible. Or, une fois sec, le bois garde l’ensemble de ses propriétés physiques intactes, notamment la rectractabilité qui lui confère la possibilité de diminuer de volume s’il perd de l’humidité (au-dessous du point de saturation), mais aussi la dilatabilité qui lui permet de gonfler s’il reprend de l’humidité. Le bois, en fait, réagit comme une éponge, perdant de son eau quand il fait chaud, en été, et reprenant de l’humidité en hiver. Ce phénomène met à mal tous les assemblages effectués pour les meubles, c’est ce qui explique les « désaffleurs » et les « jours » que l’on rencontre sur bon nombre de meubles anciens.
Les ébénistes s’aperçurent vite que, pour éviter ce genre de désastre, il fallait faire subir à leurs meubles une certaine finition superficielle qui mettrait le matériau à l’abri des agents atmosphériques et limiterait son retrait.
Il est à noter que ce phénomène est non seulement proportionnel à la qualité du séchage, mais dépend aussi de l’anisotropie du bois (les retraits sont différents suivant l’orientation des fibres du bois).
Il ne restait plus qu’à trouver le produit ou l’enduit à appliquer sur les meubles, produit qui devait respecter, aussi, la beauté des veines du bois. La logique du moment était de se débrouiller avec ce que l’on avait sous la main.
Les éléments les plus courants à cette époque étaient le sang de boeuf, l’huile de lin et la cire d’abeille.
Le sang de boeuf était souvent utilisé. Il permettait d’homogénéiser la couleur des meubles, composés souvent de bois variés mais il évitait aussi le retrait et le gonflement du bois comme le font nos vernis actuels sans pour autant nourrir le bois en profondeur. Le sang de boeuf était d’un usage commode puisqu’il se conserve fort bien: séché, il se transforme en paillettes qui, rehydratées, lui permettent de retrouver son aspect et ses qualités initiales. On peut voir si le meuble a été passé au sang de boeuf: quand on le décape, il prend un aspect rougeâtre.
Le lin, culture importante en Béarn au XVIII° siècle, a beaucoup contribué à l’embellissement du mobilier. Il donnait en effet une huile utilisable directement sur les meubles, évitait aussi le retrait ou le gonflement du bois mais il le nourrissait aussi en profondeur en imprégnant ses cellules. Relativement siccative, elle pouvait être utilisée telle quelle mais pour améliorer son pouvoir, on y ajoutait souvent d’autres ingrédients tels que des terres ou des chaux que l’on fabriquait au XVIII° siècle dans bon nombre de villages béarnais. Le mélange provoquait par oxydation superficielle, le noircissement des meubles au cours des années.
La cire d’abeille, enfin, donnait cette finition inégalable tout en apportant au meuble les éléments nutriciels nécessaires à sa conservation.
Ces produits de finition ne pouvaient, de toute façon, qu’amener au brunissement du bois par oxydation naturelle des huiles qui n’étaient pas parfaitement raffinées et des cires extraites très artisanalement.
Le noircissement n’est pourtant pas homogène sur l’ensemble des meubles que nous avons rencontré. Ceci laisse supposer que chaque ébéniste avait ses propres procédés en fonction des éléments qu’il avait sous la main mais il est sûr qu’il gardait jalousement ses secrets de finition comme le font encore nos restaurateurs aujourd’hui. Je vous révélerai cependant le mien: une mixture de cire d’abeille de première qualité et de bitume de judée en proportion variable suivant la teinte désirée donne une patine des plus plaisantes.