Culture
Un peu de géographie, d’histoire et de droit coutumier
Le Béarn, situé entre Gascogne et Espagne, Pays Basque et Bigorre, est une province d’une extrême variété et d’une très grande beauté. Varié, il l’est par ses paysages, paysages rudes des montagnes ou riants des plaines, par son terrain de nature et de relief très diversifiés et par son climat généreux en eau et en soleil.
Géographiquement, on peut distinguer deux Béarn:
– Celui de la montagne avec, à sa porte, la gracieuse Oloron d’où partent vers l’Espagne, en traversant les Pyrénées, les vallées riantes d’Aspe et d’Ossau et la sauvage et belle vallée de Barétous.
– Le riche Béarn des plaines, des gaves et des Luys, celui aussi des capitales et des cours seigneuriales: Lescar, Morlaàs, Orthez, Pau, Salies ou des terres fécondes: Nay, Monein…
Une végétation à la fois luxuriante et diversifiée est la résultante fort évidente de cette variété de climat, de terrain, d’altitude. C’était déjà vrai au XVII° et au XVIII° siècle. C’est ainsi que le chêne, le châtaignier, le sapin seront très utilisés dans nos vallées de montagne, les premiers pour les meubles importants, le troisième pour les coffres, ce qui explique qu’ils aient mal traversé les siècles. Le chêne sera roi à Salies de Béarn, le noyer à Orthez et Monein; ailleurs, les deux essences seront souvent utilisées simultanément, le chêne pour le bâti, le noyer pour les battants. On trouvera aussi des fruitiers dont le merisier entre les deux Luys, et déjà le pin à la limite des landes et aussi … de nombreux meubles composés de bois divers. L’étude des bois fera l’objet d’un chapitre spécial.
L’étude des contrats de mariage et des inventaires des maisons du XVII° siècle témoigne de l’extrême pauvreté des Béarnais de cette époque, pauvreté probablement liée aux événements politiques et religieux ainsi qu’aux épidémies.
Vers 1730, c’est-à-dire à l’époque où apparaissent les premiers grands meubles béarnais, on est surpris par une explosion démographique et économique.
Cette explosion est-elle due à l’introduction du maïs en Béarn, à l’apparition des cultures fourragères, à l’essor de l’exploitation forestière ou au développement des ateliers de tissage ?
Ce qui est certain, c’est que tout bouge et tout progresse: la culture, l’élevage et l’artisanat.
Cette évolution est favorisée par l’intendant Mégret d’Etigny qui, dès 1750, aide à l’industrialisation et au commerce tant intérieur qu’extérieur en créant un réseau de routes modernes. L’explosion démographique est telle que les jeunes sont obligés de quitter le Béarn; les fils de bourgeois vont aux Antilles, ceux des paysans en Aragon et dans les colonies espagnoles et les jeunes nobles grossissent les rangs des « cadets de Gascogne » qui tentent leur chance à Paris dans la carrière des armes.
Cette double explosion est probablement la raison du développement du meuble en Béarn, mais aussi de son évolution. L’artisan a du bois et des commandes et les cadets de Gascogne rapportent de Paris des meubles parisiens qui orneront leurs « châteaux » et leurs salons: « des meubles de Boulle, de bois précieux, des sièges d’une exquise élégance, des vases de Sèvre » (de Lagrèze), des salons Régence, des bureaux Louis XV en marqueterie, (que j’aurai le plaisir d’admirer en faisant mon enquête sur le meuble béarnais). Ces meubles permettent à nos ébénistes d’évoluer dans leurs modèles et leurs techniques.
Avant d’aborder l’étude du mobilier béarnais et sans vouloir entrer dans la législation des Etats de Béarn, il serait bon de connaître ces coutumes qui ont permis, jusqu’à bien après l’introduction du code civil, la continuité de la famille et du fonds familial.
En Béarn, l’important, ce n’est pas l’individu mais la maison dite « case » en béarnais et celui-ci doit consacrer sa vie à enrichir cette « case » et à la perpétuer.
Des lois strictes, parfois dures ou au contraire très libérales et, par là, fort évoluées, protègent cette « case ». C’est ainsi que l’héritier ou l’héritière reçoit de ses « dabancés » ou devanciers des biens, meubles, immeubles, terres, bétail, qu’il doit transmettre à ses enfants après les avoir renforcés par son travail et par son mariage.
La bru ou le gendre doit enrichir la « case » en apportant « un dot » (masculin en béarnais) qui comprend de l’argent, du bétail et un coffre ou un cabinet garni de linge.
Quand le couple n’a pas d’enfant, le « dot » revient à la disposition de la case d’origine: c’est le « tournadot » et si l’héritier décède sans avoir eu d’enfant, la bru n’a plus qu’à retourner chez ses parents!
Les « aurosts » (chants funéraires) de Marie Blanque, en vallée d’Aspe, nous montre la détresse de la jeune veuve qui, ayant perdu son mari, a perdu aussi tout droit sur la « case ».
« qu’eri mestresse de très oustaus
quey qué m’en cau rendè las claus »
J’étais maîtresse de trois maisons,
Maintenant, il m’en faut rendre les clefs…
Par contre et, dès le XI° siècle, la femme a un statut social privilégié qui lui permet, en l’absence de son mari, pour quelque raison que ce soit, d’administrer les biens familiaux afin qu’ils ne périclitent pas: la femme française n’aura ce droit qu’en 1966.
Le souci de la protection des biens oblige, naturellement, à ne pas déconsidérer l’héritière qui a un enfant naturel capable de perpétuer la « case » (comme c’était l’usage en France, à cette époque). Il impose également de refuser aussi bien le divorce qui entraînerait le partage des biens que le départ du jeune couple héritier, même si la vie lui est insupportable en raison de la cohabitation des générations antérieures.
La position de cadet n’est pas brillante. L’héritier détient les biens et le sait, le cadet n’est accepté qu’en fonction des services qu’il rend et souvent, il n’a d’autre solution que de quitter la case.
Toutes ces coutumes sont très importantes à connaître si l’on veut étudier le mobilier béarnais. Elles expliquent qu’encore en 1992, ce soit dans les très vieilles familles béarnaises que l’on trouve les meubles les plus authentiques, et même pour certaines d’entre elles, chaque génération étant marquée par l’arrivée d’un coffre ou d’une armoire, un ou deux siècles d’histoire du meuble béarnais.