Morlaàs

Culture

Morlaàs, l’an 1730

A l’orée du XVIII° siècle, Morlaàs vit de ses souvenirs. Autrefois vicomté du Béarn, frappant monnaie et fière de son for (Le for de Morlaàs est une charte de droit privé et public datant du XI° siècle), cour d’appel aux XIII° et XIV° siècle, place forte sous Gaston Fébus avec sa garnison et son atelier de fabrication d’armes, marché actif de bétail et de vins du Vic-Bilh, rien ne lui rappelle sa grandeur passée, pas même une ruine du château vicomtal dont ne subsiste que le triste nom de « la Hourquie » (La Hourquie est une sorte de gibet. (fourches patibulaires)) en souvenir du temps où les seigneurs avaient les pouvoirs de haute justice.

Abandonnée par ses princes, puis par ses nobles et quelques uns de ses bourgeois, enfin par ses riches protestants après la révocation de l’Edit de Nantes, Morlaàs est triste. Elle n’a que 165 feux et l’intendant Lebret vient de faire ce rapport: « Lembeye serait la ville la plus misérable du royaume si Morlaàs ne lui disputait cet honneur ».

Morlaàs est pauvre, à cette époque, et son habitat en témoigne. Elle vit d’un marché à bestiaux qui attire du monde le mardi, de la culture du lin et de son tissage. Elle fait de la jolie toile et des mouchoirs, mais elle est très isolée: de mauvais chemins conduisent à Nay, à Lembeye, à Thèze et à Pau par les terres marécageuses du Pont-long. Ses relations économiques avec le reste du Béarn sont difficiles et son commerce se fait principalement avec sa province voisine, la Bigorre.

Elle se cherche Morlaàs. Comment faire pour retrouver, sinon les fastes d’antan, au moins un certain goût de vivre?

Vers 1730, elle essaie de profiter du redressement économique et se lance dans un artisanat qui fera sa réputation: l’ébénisterie.

 

 

 

Avec sa façade en noyer et ses côtés en chêne, il a quatre portes bien moulurées, mais celles du haut différent de celles du bas:

En haut, un quadrilobe à quatre besants insérant un coeur percé de deux flèches et autour, de tout petits besants flanqués de fleurs de lin, avec des tracés de fleurs de lis, bûchées à la révolution.

En bas, des arabesques formant cercle, et un coeur à chaque coin.

Sur les tiroirs également moulurés, et sur le dormant, des fleurs de lin avec leurs tiges forment une croix de feuillage interrompue en son centre par une marguerite.

Déjà, et sur la traverse inférieure, deux oiseaux picorent une gerbe de lin tandis que la traverse supérieure nous indique clairement que l’on sort juste du Moyen-Age: les deux petites figurines qui dominent le coeur central sont des fous à grand bonnet de cette époque.

 

Dès le départ, c’est la fantaisie faîte meuble avec ce premier cabinet de la fin de la première moitié du XVIII° siècle.

Le lin est la principale ressource de Morlaàs. Les ébénistes en feront un de leurs motifs décoratifs principaux (tige, fleurs, oiseaux qui le picorent).

 

Avec cette bonnetière de 1759, on a l’impression d’un meuble qui s’essaie, d’un artiste qui s’affirme, d’un style qui se cherche encore.

Nous retrouvons toutes les caractéristiques du meuble de Morlaàs: le fronton échancré et ses oiseaux, les panneaux de façade différents avec celui du haut, très classique, et ses fleurs de lis encadrant une ceinture de fleurs de lin. Les panneaux latéraux identiques sont ceux que l’on retrouve le plus fréquemment au début du style.

Cette oeuvre nous semble cependant un peu jeune. Modeste en proportion si on la compare, par exemple, à celle du château de Morlanne (page ..), gauche dans l’exécution du panneau inférieur si le sculpteur a cherché à réaliser une croix de Malte(Les menuisiers béarnais ne maîtriseront la technique de ce motif qu’à partir de 1760). Le résultat obtenu n’en est pas moins extraordinaire puisque les sculptures se jouent de la lumière en faisant apparaître ses motifs tantôt en creux, tantôt en relief.

Les oiseaux du fronton, eux aussi, ne semblent pas encore savoir s’ils sont canards ou colombes et le décor de la traverse est une production tout à fait personnelle.
Comme beaucoup de meubles reposant sur la terre battue, le piétement, trop longtemps en contact avec un sol humide, a été refait.

Cette bonnetière, telle qu’elle est, nous est apparue pleine d’un charme d’avant garde.

 

Nous voici en 1760. Les menuisiers de Morlaàs ont canalisé leur fantaisie première. Nous arrivons dans la période classique du style.
Un modèle s’établit pour chaque type de meuble en usage: le cabinet à quatre portes et à deux tiroirs, la bonnetière (appelée aussi homme-debout) à deux portes et un ou deux tiroirs, le vaisselier et la grande armoire au tiroir inférieur.

Le cabinet à quatre portes:

Ce très beau meuble est un cabinet-type que Morlaàs reproduira pendant plus de vingt ans, à très peu de variante près. Les dates du fronton en font foi. Les variantes seront au niveau du bâti et du fronton (oiseaux, marguerites, parfois chaînes de mariage à la place des fleurs de lin sur le tiroir) mais quasiment pas au niveau des portes.
Il a, aussi, été fabriqué  » à l’identique » mais sans fronton ou parfois avec des oiseaux qui grappillent des fleurs de lin sur le tiroir.

 

Celui-ci, daté de 1763 au fronton, fût donné par une demoiselle de Saint-Faust, des environs de Pau au Musée Béarnais.

En noyer, le bâti, très mouluré, repose sur deux pilastres décorés de feuilles d’acanthe et encadrant un tiroir bien décoré avec, autour de la serrure, une feuille godronnée d’où partent deux cornes d’abondance garnies de feuillage. Les vantaux du haut sont ornés de quadrilobes à besants avec un coeur central percé de deux flèches; autour de ce quadrilobe, quatre très petits besants et quatre rameaux de fleurs de lin ainsi que la trace de quatre fleurs de lis. Les vantaux du bas sont ornés d’une croix de malte autrefois fleurdelisée. Les deux tiroirs du milieu, séparés par une marguerite, ont un décor de tiges de lin.

Le fronton triangulaire et découpé, surmontant une corniche très saillante, porte sur ses feuillages deux oiseaux qui se tournent le dos et sont séparés par une palmette centrale.

 

La bonnetière:

Cette bonnetière très morlannaise de 1764 a une caractèristique:
Si son vantail supérieur est classique, son vantail inférieur représente une croix de Saint André entourée de quatre besants avec au centre quatre coeur flambants. Une marguerite vient orner chaque extrémité de la croix (ce décor relativement peu courant sur du mobilier postérieur à 1760 remplace la traditionnelle croix de Malte).
Les panneaux latéraux qui encadrent les vantaux sont très sobres ainsi que le tiroir central.
Les trois panneaux de côté sont de taille différente, ce qui est rare à Morlaàs.
La sculpture du fronton, avec ses oiseaux picorant est très naïve. Celle de la traverse supérieure se pare de quelques fleurs de lin, encadrant une marguerite.
Ce meuble appartient au musée Bernadotte.

 

 

 

 

 

 

 

Des panneaux losangés verticaux garnissent sa large façade de part et d’autre des deux vantaux conformes à la tradition: quadrilobe en haut et croix de malte en bas.
Deux tiroirs ornés de fleurs et tiges de lin et séparés par une marguerite la ceinturent.
La traverse supérieure, peu ornée, est surmontée d’une corniche saillante et d’un fronton orné d’un seul oiseau: le meuble était probablement à l’usage d’une cadette restée au foyer.

 

Celle-ci appartient au très beau château de Morlanne. Elle est datée de 1772 et a été achetée, à Boeil-Besing, au baron Oscar Bernadotte.

Cette bonnetière a tous les éléments typiques du meuble de Morlaàs. Quelques variantes pourront l’individualiser au niveau des tiroirs (un au lieu de deux, chaîne de mariage au lieu de tiges de lin fleuries), dans le fronton (les oiseaux seront en envol et à queue à volute) ou dans l’absence de fronton (les oiseaux sont alors sur la traverse.)

 

 

 

 

Le vaisselier:

 

Celui du musée Pyrénéen fait partie des grands classiques du style.

Le corps du vaisselier a deux portes à croix de Malte fleurdelisée, surmontées de deux tiroirs à tiges de lin fleuries séparés par une marguerite.

Le dressoir est orné, comme la traverse des bonnetières, de deux oiseaux en envol avec une double queue terminée en volute de part et d’autre d’une fleur de lys transformée en fer de lance.

On notera les encoches à queues d’aronde pour ranger les cuillers sur la traverse du bas.

 

 

 

 

Comparons le succinctement avec ce cabinet à quatre portes daté de 1769, du musée Pyrénéen.

 

Les portes du bas du vaisselier sont identiques à celles du bas de l’armoire.

De même, les côtés sont à petits panneaux montés en rainure.
Enfin, les décors des traverses hautes sont de même inspiration: on y retrouve les oiseaux à « queue en volute ».
Seuls les motifs des tiroirs changent: les fleurs de lin sont ici remplacées par des chaînes de mariage.

Ces deux meubles de même facture nous permettent de dater approximativement le vaisselier.

 

 

 

L’armoire

L’armoire de Morlaàs n’est jamais datée. Elle semble cependant avoir fait son apparition plus tardivement que le cabinet ou la bonnetière. Ceux-ci, après les débuts originaux du style, semblaient, si l’on peut dire avoir un « air de famille » mais se différenciaient par quelques éléments et paraissaient avoir été faits selon l’inspiration de l’artiste, ou … à la demande du client.
C’est une toute autre impression que nous donne l’armoire. Nous avons en effet, trouvé ce modèle, au demeurant de fabrication parfaite et d’une réussite certaine, dans plusieurs familles: la dimension et les décors étaient les mêmes, seul le décor du dormant pouvait varier. Ceci nous amène à penser que, passée l’originalité des débuts, on en est arrivé à une fabrication moins individualisée.

La fantaisie de Morlaàs aurait-elle perdu ses dons ou se serait-elle installée dans la facilité à moins que l’on puisse y voir les premiers signes d’un travail en série qui ne laisse plus place ni à l’inspiration, ni à l’imagination?

 

 

Celle du musée Bernadotte à Pau est en noyer.
Son corps supérieur, bien mouluré et surmonté d’une corniche saillante, a deux vantaux séparés par un dormant à feuillage. Il repose sur deux pilastres encadrant un tiroir décoré bien semblablement à celui du cabinet à quatre portes décrit précédemment (page ).
Chaque vantail à moulures importantes est séparé en trois panneaux: le supérieur, à quadrilobe à besants et coeur fléché et à fleurs de lis, le central, à croix de malte fleurdelisée. Ces deux panneaux sont donc parfaitement traditionnels. Le panneau inférieur est décoré d’une croix de Saint-André entourée de quatre besants, et a en son centre quatre coeurs flambants.

 

Ce mobilier, on le voit, ne varie guère. Morlaàs s’en tient aux valeurs sûres: celles qui plaisent et que l’on vend bien dans les petits châteaux et les gentilhommières. Pourtant, vers 1780, le meuble de Morlaàs va évoluer vers une certaine simplification (qui n’exclut pas une relative continuité dans la fabrication des modèles précédents).

Il semble bien qu’avec ce dernier cabinet l’ébénisterie de Morlaàs ait vécu ses plus beaux jours.
La sobriété du meuble est telle qu’on peut se demander si la haute fantaisie de Morlaàs a fini de plaire, à moins que ce ne soient plutôt les événements économiques qui aient obligé les ateliers à réduire les coûts de fabrication.

Il est certain que la fin du « style Morlaàs » coïncide avec une période très noire pour la ville qui le fît naître.

 

 

Ce très beau cabinet en noyer est beaucoup plus sobre que les précédents dans ses tiroirs et la fleur qui les sépare.
Ses vantaux, beaucoup moins travaillés, offrent une petite diversité: si la croix de Malte aux fleurs de lis bûchées subsiste en bas, en haut, c’est la croix de Saint-André à coeurs flambants entourés de quatre petits besants, qui a remplacé le quadrilobe.
La traverse supérieure, au motif de deux oiseaux grappillant, est sculptée avec beaucoup de légèreté.
On notera la simplification de la structure des côtés par réduction du nombre de panneaux.

 

Cette région encore très isolée du reste du Béarn et presque uniquement rurale voit s’abattre sur elle en 1774 à la fois la grêle et une épizootie qui décime son cheptel, la privant à la fois de ressources alimentaires, de ses boeufs pour cultiver la terre, de son mode de transport.

La famine était dans la ville et « la production vivrière ne dépassait pas en 1789, son niveau des pires années du XVII° siècle » (Serge Lerat). Alors que pendant ce même temps, à 10 km de là, Pau  » franchissait toutes les étapes conduisant à la naissance d’une véritable ville » (Pierre Tucoo-Chala), développant ses manufactures: tissage (en 1765, on y recense 800 métiers à tisser), papeterie … et exportant vers l’Aragon … et bien au-delà.

Dans un marché très difficile, le meuble de Morlaàs essaiera d’évoluer vers le style Louis XIV eme mais, ce faisant, perdra son caractère spécifique en ne gardant, en bas de chaque vantail qu’un seul panneau sculpté (un quadrilobe).

Il essaiera ensuite, dans sa forme de cabinet, d’adopter le style Louis XV en chantournant sa traverse basse.

 

 

 

 

Ce cabinet au piétement et aux montants arrondis de style Louis XV présente une ébauche du style Louis XVI dans la corniche et dans le pied.

Les deux portes inférieures de type classique sont ornées de croix de Malte, les tiroirs, séparés par une marguerite, de fleurs de lin.

Les vantaux supérieurs ont beaucoup d’intérêt: classiquement composés d’un quadrilobe et d’un coeur fléché en son centre, quatre fleurs de lis transformées en fleurs de lin avant le passage des agents nationaux, pourraient dater ce meuble de 1793.

Sur la traverse haute, deux couples d’oiseaux séparés par une cive (c’est rare) picorent du lin.

Le nombre de panneaux latéraux est lui aussi réduit comme dans la plupart des meubles tardifs.

 

Cette évolution de style ne réussira pas à faire revivre l’ébénisterie de Morlaàs. Il y eut encore, évidemment, des menuisiers, mais ils ne firent plus de ces meubles qui avaient fait la renommée de la ville.

Quelques excellents ouvriers, cependant, délaissèrent leurs ateliers où ils n’avaient plus de travail et partirent vers le nord-ouest où l’on retrouvera, non pas leur trace, mais leur empreinte, leur fantaisie, l’expression de leur art sur de très jolis meubles que nous admirerons dans un autre chapitre.

En ce qui concerne le mobilier de la période classique de Morlaàs, nous avons choisi de montrer au lecteur des meubles qu’ils peuvent admirer dans nos musées régionaux.

 

 

 

 

Morlaàs a fait sa réputation avec ses meubles à « panneaux différents » et à « oiseaux affrontés ». Ce serait une erreur de croire qu’elle n’a fabriqué, à cette époque là, que ce type de mobilier.

On trouve encore aujourd’hui dans toutes les maisons du canton des armoires qui ressemblent à celles que tout le Béarn fît à cette époque, et, au cours de notre enquête, si nous n’avons trouvé que peu de meubles à « culs de bouteilles », nous avons été frappés par le nombre de cabinets et bonnetières à « panneaux identiques » qui souvent voisinaient avec ceux qui firent la renommée de Morlaàs:

 

Cette bonnetière à croix de Malte en est un exemple parmi beaucoup d’autres.

 

Il ne faut pas croire non plus qu’à sa grande époque, Morlaàs fût seule à fabriquer du mobilier à « panneaux différents ». Ses jeunes soeurs Thèze, Lembeye et Nay (Nay est à l’époque, riche de ses tissages), à trois ou quatre heures de marche en ont fait qui répondent à la même définition que celui de leur aînée, mais qui s’en différencient par des détails de motifs ou de structure qui permettront, souvent, d’identifier le lieu exact d’origine, tel à Nay, où nous noterons que les oiseaux se trouvent sur les linteaux des maisons et non sur les meubles.

 

Ce splendide cabinet, probablement de la deuxième moitié du XVIII° siècle, n’a, malgré ses panneaux différents, rien de commun avec le meuble de Morlaàs.

Les quatre vantaux ont un décor de croix de Saint-André beaucoup plus travaillé en haut qu’en bas. Cette croix de Saint-André, traitée différemment à Morlaàs, est caractéristique des ateliers de Nay, ainsi que la très grande sobriété des tiroirs et l’absence d’oiseaux sur le fronton ou la traverse supérieure. On notera, sur la traverse supérieure décorée de tiges de lin, une corniche à marqueterie. Entre les tiroirs et au milieu des panneaux supérieurs, une très jolie étoile en marqueterie polychrome remplace les fleurs de lis bûchées à la Révolution. Avec ses pieds côtelés, c’est un meuble d’une grande richesse.

 

 

… ou à Thèze:

 

 

 

 

La bonnetière semble être du début de Thèze, du Thèze qui se cherche. Elle pourrait dater de 1750, peut-être d’avant. La fleur de son vantail s’offre littéralement à nous. Son vantail inférieur est, lui aussi, à la recherche de son motif définitif avec ses quatre coeurs encadrant des arabesques circulaires. On notera, sur la traverse supérieure et au milieu du vantail inférieur, des croix dites Basques mais qu’on retrouve aussi en Béarn, et aussi la grande élégance de ce meuble à rapprocher du premier cabinet rencontré à Morlaàs.

 

 

 

Cette très belle bonnetière a toutes les caractéristiques du mobilier de Morlaàs en ce qui concerne la structure. Cependant les sculptures de la traverse haute et des montants latéraux sont caractéristiques de Thèze ainsi que les arabesques florales et les besants ornant les angles des vantaux.

Un autre meuble (voir en annexe page ), aux fleurs de lin empruntées à Morlaàs, signe ses origines avec l’étoile à six branches de la traverse supérieure.

Le caractère thézien du demi-cabinet de la page suivante est donné par le motif typique du vantail supérieur.

 

 

 

 

 

L’habitude est de parler du mobilier de Thèze. En fait, un plan de Thèze de l’époque de nos meubles (1778) montre que l’enceinte du village n’abritait qu’une quinzaine de maisons et leurs dépendances et qu’il n’y avait guère de place pour les ateliers de menuisiers. IL serait préférable de parler des ateliers de la région de Thèze et même plus précisément du sud-ouest de Thèze, juste en dessous du Luy de Béarn.

 

 

 

 

 

Le mobilier de Thèze dont nous vous donnons une idée correspond tout à fait à la définition du « style Morlaàs » en ce qui concerne les panneaux différents de certains meubles.

A la même époque, Thèze a aussi fabriqué des cabinets à quatre portes et des bonnetières à panneaux identiques comme on en fît dans tout le Béarn mais également à motifs qui lui sont propres comme le montre cette bonnetière.

Il est à noter qu’aucun oiseau ne figure sur le meuble de Thèze.

La chronologie de l’histoire nous oblige à quitter la région de Thèze mais nous y reviendrons plus loin dans le livre et par des chemins qui ne viennent pas que de Morlaàs.

 

On a l’habitude en Béarn, quand on voit un meuble à panneaux différents, même s’il ne présente aucune trace d’oiseau sur son fronton ou sur sa traverse haute, de s’extasier et de dire: « c’est une école de Morlaàs » et, de fait, il semble bien que, pendant une cinquantaine d’années, Morlaàs ait produit bon nombre de menuisiers du Vic-Bilh et de la région de Nay.

Bien qu’on n’ait pas trouvé trace de contrats d’apprentissage, il parait certain que Morlaàs ait formé des apprentis et que les meilleurs, devenus « Maîtres », ont créé leurs propres ateliers, à une vingtaine de kilomètres au nord, au sud, à l’est, inventant leurs propres motifs pour individualiser leur fabrication. En ce sens Morlaàs a « fait école ». Nous préférons dire qu’elle a créé le « style Morlaàs ».

On trouve du mobilier de « style Morlaàs » à Morlaàs et à environ vingt kilomètres à la ronde de chaque « centre satellite », c’est à dire à quelques heures à pied ou avec une charrette attelée de boeufs ainsi qu’en Bigorre, province avec laquelle Morlaàs commerçait. Pau et Lescar, à dix et vingt kilomètres de Morlaàs, auraient dû, géométriquement ou géographiquement, comme il vous plaît, subir l’influence du style mais n’y ont pas été sensibles, très probablement, parce que l’accès à ces villes étaient difficile: les tracés des routes ont été très tardifs (Pau se refusait au tracé de la route pour éviter l’entrée des vins de Bigorre qui auraient concurrencé ceux de Jurançon) et les chemins pour y accéder étaient très marécageux.

Ne concluons pas, cependant, qu’il soit toujours aisé de déterminer l’origine exacte du mobilier de cette région de Béarn: les idées et les motifs se sont transportés d’un atelier à l’autre et le peu de distance qui sépare Morlaàs, Nay, Lembeye, et Thèze explique qu’on n’ait guère eu de mal à aller voir ce qui se passait chez son voisin et qu’on puisse trouver, sur un même meuble, la marque de plusieurs centres de fabrication. Ce brassage des idées et des motifs est d’autant plus présent que le meuble est plus tardif. Nous retrouverons ce même phénomène dans tous les ateliers de menuiserie et constaterons que les « emprunts » se feront de plus en plus éloignés au fur et à mesure que les années passeront.

 

 

Si on en exclut les bonnetières, plus petites pour des raisons économiques ou sociologiques, le meuble de style Morlaàs, à ses débuts, est toujours un grand meuble fait pour une grande pièce à usage multiple (cuisine, salle à manger, chambre …).

Plus tard, nos cadets de Gascogne, à Paris, apprécieront le charme et le raffinement de ces petites pièces très intimes que le style Louis XV avait imposé dans les hôtels parisiens. Ils morcelleront les grandes pièces de leur demeure et les décoreront de quelques uns de ces charmants meubles Louis XV qui ornaient les boudoirs parisiens.

Certains commanderont aussi, pour l’ornement de leur salon, des petits meubles que l’on rencontre assez rarement comme cette remarquable crédence:

 

 

 

 

D’autres firent couper des cabinets, des armoires, des bonnetières, pour en faire des meubles plus petits comme des buffets ou des confituriers. Ils furent, en cela, suivi par certaines familles, qui, pour éviter des tensions familiales, préférèrent couper un joli meuble quand deux filles de la maison avaient jeté leur dévolu dessus.